Le Boucher

Maurice Rollinat 1846 (Châteauroux) – 1903 (Ivry-sur-Seine)



Tiens ? t’es donc plus boucher ? dit la vieille au gros homme
      Qui venait de vendre son fonds,
Et lui répondit grave, avec un air profond :
      « Non ! et j’vas vous raconter comme :

      Ah ! l’ métier était bon ! Mes viandes ?
      Vous savez si ça s’débitait !
      Tell’ment partout on m’réputait
      Que j’pouvais pas fournir aux d’mandes.

      C’est moi-mêm’ qu’abattais les bêtes
      Promis’ aux crochets d’mon étal,
      Et j’vous crevais comme un brutal
      Les cous, les poitrails et les têtes.

      Si j’suis si gros, q’ça m’gên’ quand j’bouge,
      Si j’ai l’teint si frais, l’corps si gras,
      C’est q’par le nez, la bouch’, les bras,
      Tout l’temps j’pompais vif du sang rouge.

      L’animal ? c’est pas un’ personne...
      Que j’me disais ! Pour moi, l’bestiau
      C’était qu’un’ chos’, j’trouvais idiot
      D’croir’ que ça rêv’ ou q’ça raisonne.

      Si ça qui grogn’, qui bêl’, qui beugle,
      À l’abattoir s’tenait pas bien,
      J’cognais d’sus, ça n’me faisait rien :
      J’leur étais aussi sourd qu’aveugle.

      D’un coup d’maillet bien à ma pogne
      J’défonçais l’crâne d’un vieux bœuf
      Comme on cass’ la coquill’ d’un œuf,
      Et j’fredonnais pendant ma b’sogne.

      À ceux qui, lorsque l’couteau rentre,
      S’lamentaient sur l’ouaill’ ou l’cochon,
      J’criais : « Ça s’rait plus folichon
      D’en avoir un morceau dans l’ventre ! »

      Et dans l’trou plein d’sanglante écume
      Se r’tournait, creusait mon surin,
      Tel qu’un piquet dans un terrain
      Où q’l’on veut planter d’la légume.

      J’étais ben boucher par nature !
      Dam’ ! Le coup d’mass’ ? ça m’connaissait ;
      Et quand mon vieux couteau dép’çait
      I’ savait trouver la jointure.

      Oui ! j’avais la main réussie
      Pour mettre un bœuf en quatr’ morceaux ;
      Vit’ se rompaient les plus gros os
      Ousque j’faisais grincer ma scie.

      Pour détailler d’la viand’ qui caille
      J’aurais pas craint les plus adroits :
      Tous mes coups d’coup’ret, toujours droits,
      R’tombaient dans la première entaille.

      Jusqu’à c’beau jour d’ensorcell’rie
      Où v’allez savoir c’qui m’advint,
      Je m’saoulais d’sang tout comm’ de vin
      Et j’m’acharnais à la tuerie.

      Donc, un’ fois, on m’amène un’ vache
      Ben qu’âgée encor forte en lait,
      Noire et blanche, et voilà qu’em’ plaît,
      Que j’la conserve et que j m’yattache.

      J’la soignais si tell’ment la vieille
      Que m’voir la faisait s’déranger
      D’ses song’ et mêm’ de son manger,
      Qu’elle en dod’linait des oreilles ;

      Quand em’rencontrait, tout’ follette,
      Ben vite, elle obliquait d’son ch’min
      Pour venir me râper la main
      Avec sa lang’ bleue et violette ;

      Mes aut’ vach’ en étaient jalouses
      Lorsque mes ongl’ y grattaient l’flanc
      Ou qu’ent’ ses corn’ noir’ au bout blanc
      J’y chatouillais l’front sur les p’louses.

      Mais un jour, un’ mauvaise affaire
      Veut qu’ell’ tombe, y voyant pas fin,
      À pic, sus l’talus d’un ravin,
      Et qu’es’ casse un’ patt’ ! Quoi en faire ?...

      Ell’ pouvait ben marcher sur quatre
      Mais sur trois... yavait plus moyen !
      Mêm’ pour elle, il le fallait ben ;
      Ell’ souffrait : valait mieux l’abattre !

      Pour vous en finir, je l’emmène...
      J’avais renvoyé ceux d’chez nous.
      Mais, v’là qu’ell’ tomb’ sur les deux g’noux,
      Avec des yeux d’figure humaine.

      Bon Dieu ! j’prends mon maillet sur l’heure,
      J’vis’ mon coup, et j’allais l’lâcher...
      Quand j’vois la vach’ qui vient m’lécher
      En mêm’ temps q’ses deux gros yeux pleurent.

      L’maillet fut bentôt sur la table,
      J’app’lai tous mes gens et j’leur dis :
      Faut pas la tuer ! j’serions maudits !
      Et j’fus la r’conduire à l’étable.

      La vache ? un r’bou’teux l’a guérie.
      À la maison j’yai fait un sort,
      Elle y mourra de sa bonn’ mort,
      Et, moi, j’f’rai plus jamais d’bouch’rie. »

      — La vieille dit : « Vlà c’que ça prouve :
      C’est q’chez l’âm’ des plus cruell’ gens,
      Dans les métiers les plus méchants,
      Tôt ou tard la pitié se r’trouve.

      Crois-moi ! c’te chos’ ? tu n’l’as pas vue,
      Quand mêm’ que tu peux l’certifier.
      C’est ton bon cœur qui fut l’sorcier,
      C’est lui qui t’donna la berlue
Font size:
Collection  PDF     
 

Submitted on May 13, 2011

Modified on March 05, 2023

3:07 min read
24

Quick analysis:

Scheme ABCA BCCB BDEB FBBF GHCG DGGD GIIG JGGJ AGGA JCCJ BBBB DBBD JCGJ HCCH DJJB CGGC BKKB JGGJ JGGJ GBBG JJJC EBBE JCCJ IBBI IJJD
Closest metre Iambic pentameter
Characters 4,753
Words 624
Stanzas 25
Stanza Lengths 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4

Maurice Rollinat

Maurice Rollinat was a French poet. more…

All Maurice Rollinat poems | Maurice Rollinat Books

3 fans

Discuss the poem Le Boucher with the community...

0 Comments

    Translation

    Find a translation for this poem in other languages:

    Select another language:

    • - Select -
    • 简体中文 (Chinese - Simplified)
    • 繁體中文 (Chinese - Traditional)
    • Español (Spanish)
    • Esperanto (Esperanto)
    • 日本語 (Japanese)
    • Português (Portuguese)
    • Deutsch (German)
    • العربية (Arabic)
    • Français (French)
    • Русский (Russian)
    • ಕನ್ನಡ (Kannada)
    • 한국어 (Korean)
    • עברית (Hebrew)
    • Gaeilge (Irish)
    • Українська (Ukrainian)
    • اردو (Urdu)
    • Magyar (Hungarian)
    • मानक हिन्दी (Hindi)
    • Indonesia (Indonesian)
    • Italiano (Italian)
    • தமிழ் (Tamil)
    • Türkçe (Turkish)
    • తెలుగు (Telugu)
    • ภาษาไทย (Thai)
    • Tiếng Việt (Vietnamese)
    • Čeština (Czech)
    • Polski (Polish)
    • Bahasa Indonesia (Indonesian)
    • Românește (Romanian)
    • Nederlands (Dutch)
    • Ελληνικά (Greek)
    • Latinum (Latin)
    • Svenska (Swedish)
    • Dansk (Danish)
    • Suomi (Finnish)
    • فارسی (Persian)
    • ייִדיש (Yiddish)
    • հայերեն (Armenian)
    • Norsk (Norwegian)
    • English (English)

    Citation

    Use the citation below to add this poem to your bibliography:

    Style:MLAChicagoAPA

    "Le Boucher" Poetry.com. STANDS4 LLC, 2024. Web. 23 Apr. 2024. <https://www.poetry.com/poem/27687/le-boucher>.

    Become a member!

    Join our community of poets and poetry lovers to share your work and offer feedback and encouragement to writers all over the world!

    April 2024

    Poetry Contest

    Join our monthly contest for an opportunity to win cash prizes and attain global acclaim for your talent.
    7
    days
    11
    hours
    38
    minutes

    Special Program

    Earn Rewards!

    Unlock exciting rewards such as a free mug and free contest pass by commenting on fellow members' poems today!

    Browse Poetry.com

    Quiz

    Are you a poetry master?

    »
    Who was the first woman to win the Pulitzer Prize for poetry?
    A Edith Wharton
    B Edna St. Vincent Millay
    C Sara Teasdale
    D Mona Van Duyn