Satire II

Mathurin Regnier 1573 (Chartres ) – 1613 (Rouen )



...Aussi, lors que l'on voit un homme par la rue
Dont le rabat est sale et la chausse rompue,
Ses grègues aux genoux, au coude son pourpoint,
Qui soit de pauvre mine et qui soit mal en point,
Sans demander son nom on le peut reconnaître ;
Car si ce n'est un poète au moins il le veut être.

Or laissant tout ceci, retourne à nos moutons,
Muse, et sans varier dis-nous quelques sornettes
De tes enfants bâtards, ces tiercelets de poètes,
Qui par les carrefours vont leurs vers grimaçant,
Qui par leurs actions font rire les passants,
Et quand la faim les poind, se prenant sur le vôtre,
Comme les étourneaux ils s'affament l'un l'autre.

Cependant sans souliers, ceinture ni cordon,
L'oeil farouche et troublé, l'esprit à l'abandon,
Vous viennent accoster comme personnes ivres,
Et disent pour bonjour : ' Monsieur, je fais des livres,
On les vend au Palais, et les doctes du temps,
A les lire amusés, n'ont autre passe-temps '.
De là, sans vous laisser, importuns, ils vous suivent,
Vous alourdent de vers, d'allégresse vous privent,
Vous parlent de fortune, et qu'il faut acquérir
Du crédit, de l'honneur, avant que de mourir ;
Mais que, pour leur respect, l'ingrat siècle où nous sommes
Au prix de la vertu n'estime point les hommes ;
Que Ronsard, du Bellay, vivants ont eu du bien,
Et que c'est honte au Roy de ne leur donner rien.
Puis, sans qu'on les convie, ainsi que vénérables,
S'assient en prélats les premiers à vos tables,
Où le caquet leur manque, et des dents discourant,
Semblent avoir des yeux regret au demeurant.

Or la table levée, ils curent la mâchoire ;
Après grâces Dieu bu ils demandent à boire,
Vous font un sot discours, puis au partir de là,
Vous disent : ' Mais, Monsieur, me donnez-vous cela ' ?
C'est toujours le refrain qu'ils font à leur ballade.
Pour moi, je n'en vois point que je n'en sois malade ;
J'en perds le sentiment, du corps tout mutilé,
Et durant quelques jours j'en demeure opilé.

Un autre, renfrogné, rêveur, mélancolique,
Grimaçant son discours, semble avoir la colique,
Suant, crachant, toussant, pensant venir au point,
Parle si finement que l'on ne l'entend point.

Un autre, ambitieux, pour les vers qu'il compose,
Quelque bon bénéfice en l'esprit se propose,
Et dessus un cheval comme un singe attaché,
Méditant un sonnet, médite un évêché.

Si quelqu'un, comme moi, leurs ouvrages n'estime,
Il est lourd, ignorant, il n'aime point la rime ;
Difficile, hargneux, de leur vertu jaloux,
Contraire en jugement au commun bruit de tous
Que leur gloire il dérobe avec ses artifices.
Les dames cependant se fondent en délices
Lisant leurs beaux écrits, et de jour et de nuit
Les ont au cabinet sous le chevet du lit ;
Que, portés à l'église, ils valent des matines,
Tant, selon leurs discours, leurs oeuvres sont divines.

Encore, après cela, ils sont enfants des Cieux,
Ils font journellement carrousse avecq' les Dieux :
Compagnons de Minerve et confits en science,
Un chacun d'eux pense être une lumière en France.

Ronsard, fais-m'en raison, et vous autres, esprits.
Que, pour être vivants, en mes vers je n'écris ;
Pouvez-vous endurer que ces rauques cigales
Égalent leurs chansons à vos oeuvres royales,
Ayant votre beau nom lâchement démenti ?
Ha ! c'est que votre siècle est en tout perverti.
Mais pourtant, quel esprit, entre tant d'insolence,
Sait trier le savoir d'avecque l'ignorance,
Le naturel de l'art, et d'un oeil avisé
Voit qui de Calliope est plus favorisé ?

Juste postérité, à témoin je t'appelle,
Toi qui sans passion maintiens l'oeuvre immortelle,
Et qui, selon l'esprit, la grâce et le savoir,
De race en race au peuple un ouvrage fais voir ;
Venge cette querelle, et justement sépare
Du cygne d'Apollon la corneille barbare,
Qui croassant par tout d'un orgueil effronté,
Ne couche de rien moins que l'immortalité.

Font size:
Collection  PDF     
 

Submitted on May 13, 2011

Modified on March 14, 2023

3:23 min read
71

Quick analysis:

Scheme AXBBCC DDDBDCA EEDDDDBBAADDXEDDBB AAFXBBFF GGBB DDHH IIDDDDBBDD DDDD DDDDBBDDDD FFAXXABB
Closest metre Iambic heptameter
Characters 3,844
Words 634
Stanzas 10
Stanza Lengths 6, 7, 18, 8, 4, 4, 10, 4, 10, 8

Mathurin Regnier

Mathurin Régnier was a French satirist. more…

All Mathurin Regnier poems | Mathurin Regnier Books

0 fans

Discuss the poem Satire II with the community...

0 Comments

    Translation

    Find a translation for this poem in other languages:

    Select another language:

    • - Select -
    • 简体中文 (Chinese - Simplified)
    • 繁體中文 (Chinese - Traditional)
    • Español (Spanish)
    • Esperanto (Esperanto)
    • 日本語 (Japanese)
    • Português (Portuguese)
    • Deutsch (German)
    • العربية (Arabic)
    • Français (French)
    • Русский (Russian)
    • ಕನ್ನಡ (Kannada)
    • 한국어 (Korean)
    • עברית (Hebrew)
    • Gaeilge (Irish)
    • Українська (Ukrainian)
    • اردو (Urdu)
    • Magyar (Hungarian)
    • मानक हिन्दी (Hindi)
    • Indonesia (Indonesian)
    • Italiano (Italian)
    • தமிழ் (Tamil)
    • Türkçe (Turkish)
    • తెలుగు (Telugu)
    • ภาษาไทย (Thai)
    • Tiếng Việt (Vietnamese)
    • Čeština (Czech)
    • Polski (Polish)
    • Bahasa Indonesia (Indonesian)
    • Românește (Romanian)
    • Nederlands (Dutch)
    • Ελληνικά (Greek)
    • Latinum (Latin)
    • Svenska (Swedish)
    • Dansk (Danish)
    • Suomi (Finnish)
    • فارسی (Persian)
    • ייִדיש (Yiddish)
    • հայերեն (Armenian)
    • Norsk (Norwegian)
    • English (English)

    Citation

    Use the citation below to add this poem to your bibliography:

    Style:MLAChicagoAPA

    "Satire II" Poetry.com. STANDS4 LLC, 2024. Web. 23 Apr. 2024. <https://www.poetry.com/poem/27131/satire-ii>.

    Become a member!

    Join our community of poets and poetry lovers to share your work and offer feedback and encouragement to writers all over the world!

    April 2024

    Poetry Contest

    Join our monthly contest for an opportunity to win cash prizes and attain global acclaim for your talent.
    7
    days
    14
    hours
    23
    minutes

    Special Program

    Earn Rewards!

    Unlock exciting rewards such as a free mug and free contest pass by commenting on fellow members' poems today!

    Browse Poetry.com

    Quiz

    Are you a poetry master?

    »
    Shall I compare thee to a summer's _______?
    A night
    B day
    C dream
    D ray