Le paradis

Emile Verhaeren 1855 (Sint-Amands) – 1916 (Rouen)



Des buissons lumineux fusaient comme des gerbes ;
Mille insectes, tels des prismes, vibraient dans l'air ;
Le vent jouait avec l'ombre des lilas clairs,
Sur le tissu des eaux et les nappes de l'herbe.
Un lion se couchait sous des branches en fleurs ;
Le daim flexible errait là-bas, près des panthères ;
Et les paons déployaient des faisceaux de lueurs
Parmi les phlox en feu et les lys de lumière.
Dieu seul régnait sur terre et seul régnait aux cieux.
Adam vivait captif en des chaînes divines ;
Eve écoutait le chant menu des sources fines,
Le sourire du monde habitait ses beaux yeux ;
Un archange tranquille et pur veillait sur elle
Et, chaque soir, quand se dardaient, là-haut, les ors,
Pour que la nuit fût douce au repos de son corps,
L'archange endormait Eve au creux de sa grande aile.

Avec de la rosée au vallon de ses seins,
Eve se réveillait, candidement, dans l'aube ;
Et l'archange séchait aux clartés de sa robe
Les longs cheveux dont Eve avait empli sa main.
L'ombre se déliait de l'étreinte des roses
Qui sommeillaient encore et s'inclinaient là-bas ;
Et le couple montait vers les apothéoses
Que le jardin sacré dressait devant ses pas.
Comme hier, comme toujours, les bêtes familières
Avec le frais soleil dormaient sur les gazons ;
Les insectes brillaient à la pointe des pierres
Et les paons lumineux rouaient aux horizons ;
Les tigres clairs, auprès des fleurs simples et douces,
Sans les blesser jamais, posaient leurs mufles roux ;
Et les bonds des chevreuils, dans l'herbe et sur la mousse,
S'entremêlaient sous le regard des lions doux ;
Rien n'avait dérangé les splendeurs de la veille.
C'était le même rythme unique et glorieux,
Le même ordre lucide et la même merveille
Et la même présence immuable de Dieu.

II

Pourtant, après des ans et puis des ans, un jour,
Eve sentit son âme impatiente et lasse
D'être à jamais la fleur sans sève et sans amour
D'un torride bonheur, monotone et tenace ;
Aux cieux planait encor l'orageuse menace
Quand le désir lui vint d'en éprouver l'éclair.
Un large et doux frisson glissa dès lors sur elle
Et, pour le ressentir jusqu'au fond de sa chair,
Eve, contre son coeur, serrait ses deux mains frêles.
L'archange, avec angoisse, interrogeait, la nuit,
Le brusque et violent réveil de la dormeuse
Et les gestes épars de son étrange ennui,
Mais Eve demeurait close et silencieuse.
Il consultait en vain les fleurs et les oiseaux
Qui vivaient avec elle au bord des sources nues,
Et le miroir fidèle et souterrain des eaux
D'où peut-être sourdait sa pensée inconnue.
Un soir qu'il se penchait, avec des doigts pieux,
Doucement, lentement, pour lui fermer les yeux,
Eve bondit soudain hors de son aile immense.
Oh ! l'heureuse, subite et féconde démence,
Que l'ange, avec son coeur trop pur, ne comprit pas.
Elle était loin qu'il lui tendait encor les bras
Tandis qu'elle levait déjà son corps sans voiles
Eperdument, là-bas, vers des brasiers d'étoiles.

Adam la vit ainsi et tout son coeur trembla.

Jadis, quand, au soir descendant, ses courses
De marcheur solitaire erraient par là,
Joueuse, il l'avait vue au bord des sources
Vouloir en ses deux mains saisir
Les bulles d'eau fugaces
Que les sables du fond lançaient vers la surface ;
Il l'avait vue encore ardente au seul plaisir
De ployer vers le sol, avec des doigts agiles,
Les brins d'herbe légers
Et d'y regarder luire et tout à coup bouger
Les insectes fragiles ;
Eve n'était alors qu'un bel enfant distrait
Quand lui, l'homme, cherchait déjà quel-que autre vie
Non asservie,
Là-bas, au loin, parmi les monts et les forêts.

Eve voulait aimer, Adam voulait connaître ;
Et de la voir ainsi, vers l'ombre et la splendeur
Tendue, il devina soudain quel nouvel être
Eve, à son tour, sentait naître et battre en son coeur.

Il s'approcha, ardent et gauche, avec la crainte
D'effaroucher ces yeux dans leur songe perdus ;
Des grappes de parfums tombaient des térébinthes
Et le sol était chaud de parfums répandus.

Il hésitait et s'attardait quand la belle Eve,
Avec un geste fier, s'empara de ses mains,
Les baisa longuement, lentement, comme en rêve,
Et doucement glissa leur douceur sur ses seins.

Jusqu'au fond de sa chair s'étendit leur brûlure.
Sa bouche avait trouvé la bouche où s'embraser
Et ses doigts épandaient sa grande chevelure
Sur la nombreuse ardeur de leurs premiers baisers.

Ils s'étaient tous les deux couchés près des fontaines
comme seuls témoins ne l
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Submitted on May 13, 2011

Modified on March 05, 2023

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Words 741
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Stanza Lengths 16, 20, 25, 1, 15, 4, 4, 4, 4, 2

Emile Verhaeren

Emile Verhaeren was a Belgian poet who wrote in the French language, and one of the chief founders of the school of Symbolism. more…

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    "Le paradis" Poetry.com. STANDS4 LLC, 2024. Web. 25 Apr. 2024. <https://www.poetry.com/poem/11246/le-paradis>.

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